Scheidt - Ludi Musici AcheterScheidt - Ludi Musici Descriptions du produit:
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- Rang parmi les ventes Amazon: #165023 dans Musique
- Marque: Jordi Savall
- Sorti le: 2002-03-26
- Nombre de disques: 1
- Format: Import
- Dimensions: 4.92" h x
.39" l x
5.59" L,
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DANS LA FAMILLE « TROIS S », l' « S » DU MILIEU.
Par Gérard BEGNI
PREAMBULEIl semblerait que le disque que je possède se fasse de plus en plus rare et cher, mais qu'il ne soit que la reprise littérale d'un disque légèrement plus ancien que je ne connais pas. Je poste donc mon commentaire aux deux endroitsAU TEMPS DES TROIS SOn connaît le moyen mnémotechnique permettant de se remémorer les trois grands compositeurs allemands baroques et romantiques : BBB, Bach, Beethoven, Brahms On connaît moins les « SSS ». Ils sont partis du langage de la Renaissance (par des voies largement différentes) - en grande partie de la polyphonie franco-flamande, et de l'art de la renaissance anglais assimilé par les musiciens flamands et hollandais, par exemple via Sweelinck, Tout cela « revu et corrigé » par l'art italien - vénitien en particulier, de par l'amplification du langage polychoral permis par la configuration et les moyens de la cathédrale St Marc de Venise, de la révolution monteverdienne.et de la naissance d'un art authentiquement instrumental, en particulier pour l'orgue (nous rejoignons ici en partie l'art anglais : virginalistes, « consort of viols » qui va nous occuper ici). Nos « SSS » ont su assumer ces creusets musicaux pour réellement créer le baroque allemand, en synergie étroite avec la réforme luthérienne et le rôle privilégié donné à la musique (Luther : chanter, c'est prier deux fois) et tout particulièrement au choral, forme très spécifique de « socialisation » de la musique la plus savante avec celle du quotidien. Les ilots catholiques bastions de la contre-réforme génèreront une « émulation » positive, en dépit de l'horreur du carnage de la guerre de Trente Ans - (lancée par la « défenestration de Prague » en 1618 et la bataille de la Montagne Blanche en 1620),Par delà ces atrocités, il convient de retenir la fantastique poussée novatrice canalisée par la « popularisation » d'une certaine forme de musique sous l'impulsion luthérienne évoquée plus haut - symbiose compréhensible de tous entre le savant et le populaire. Cette forme de musique allemande naissante a subi la décantation liée à la « cure d'austérité » imposée par les conditions politiques et notamment la guerre de trente ans - puis a connu une fantastique éclosion une fois la paix revenue. Ici nous sommes juste « avant ». La paix signée, on voudra tourner la page, ce qui rendra les efforts de ce demi-siècle moins fructueux qu'il ne l'aurait pu. .Ce qui a émergé au début de ce XVII° Siècle est probablement la première réelle distanciation stylistique « nationale » profonde. Peut-être faut-il admettre que l'évolution stylistique a permis une diversification des moyens qui, à son tour, a permis la diversification « nationale ». Il est bien certain par exemple que les « cori spezzati » de St Marc de Venise ont accueilli (notamment grâce à un Willaert) des traditions polychorales bien vivantes ailleurs et ignorées de la Sérénissime République et lui ont permis de vivre une nouvelle vie qui a ensuite essaimé ailleurs. C'est essentiellement là que notre premier « S » a appris ou du moins perfectionné son métier.Nos « trois S » sont Schütz, Scheidt et Schein. Si le premier a toujours été connu de quelques spécialistes et commence depuis deux ou trois décennies à être apprécié du grand public mélomane, le second n'est en général connu que de quelques organistes, instrumentistes et chaeurs au répertoire très ciblé, et le troisième n'est guère connu que par ses extraordinaires « Fontaines d'Israël », clairement décalquées sur le style madrigaliste italien . Il écrira dès 1617 son splendide « banquetto musicale » proche par l'esprit de l'aeuvre gravée ici quoique de style nettement plus italianisant.On ne peut que déplorer cette méconnaissance de compositeurs que l'on peut certes considérer « de transition » dans la mesure où l'on n'accorde pas à ce mot un sens péjoratif synonyme par exemple d'hésitation stylistique. Ils ont réellement assuré tout autant la postérité de la révolution monteverdienne que l'émergence d'une musique allemande adaptée à l'Allemagne luthérienne, Certains creusent les sillons, d'autres y sèment. Les deux sont nécessaires pour que la récolte puisse pousser.Ceci posé, il serait musicalement et historiquement faux de considérer Scheidt et Schein comme de simples émules du grand Schütz. Un simple examen chronologique le montre.QUELQUES MOTS SUR SCHEIDTScheidt est né en 1587 en Allemagne du Nord. Il y mourra en 1654, après une vie sédentaire difficile et traversée d'épreuves. L'influence essentielle qu'il connaîtra est celle du grand Sweelinck, grand innovateur stylistique mais qui n'impulsera pas une révolution aussi profonde que Monteverdi dans les lointaines Mantoue et Venise, où Schütz s'est formé auprès de Gabrieli puis de Monteverdi. Influence nordique donc plutôt que transalpine. Via Amsterdam, indirectement ou à travers quelques compositeurs anglais réfugiés pour raisons politiques, Scheidt recueillera l'héritage des madrigalistes et virginalistes anglais plus que le vent nouveau qui soufflait du sud des Alpes.Scheidt bénéficiera de la « clientèle » de la cour de Halle ce qui lui permettra d'écrire ses principaux recueils (instrumentaux notamment) dont celui qui nous occupe ici avant la catastrophe de la guerre de Trente ans. Scheidt sera victime de la guerre: la cour quitte Halle en 1625, les commandes disparaissent, ses biens seront détruits, quatre enfants sur sept périront de la peste, il devra quitter son poste musical pendant plus de dix ans pour un poste d'enseignant et sera en butte à des difficultés et querelles. Double catastrophe : pour lui certes, mais pour nous, vu le très haut niveau qu'il avait atteint avant le déclanchement des hostilités, et dont le présent disque apporte la preuve. Je voudrais signaler la « Kolossale » publication des trois volumes de sa Tabulatura Nova, l'édition la plus volumineuse jamais entreprise à l'époque, et où l'impact luthérien, évident, se marie à d'autres sources d'heureuse manière. Nous disposons d'un enregistrement exceptionnel des deux premiers volumes chez MDG. La musique proposée sur le présent CD est d'un style et d'une inspiration plus légère, mais sans relâchement dans la discipline compositionnelle et la noblesse de pensée. Scheidt n'a jamais transigé sur la solidité de l'écriture polyphonique, exigence qu'il saura transmettre à sa postérité musicale. Directement ou par influence, la musique baroque lui devra plus qu'on ne le pense généralement.LE GENRE ABORDE ET COMMENT IL EST ABORDELes « Ludi Musici » ont été composés entre 1621 et 1627 soit juste avant et au début de la guerre de trente ans Ils seront édités en quatre livres, dont seul le premier nous est parvenu entier. Les dates en expliquent hélas les raisons (fort heureusement, les trois tomes de la « Tabulatura Nova» édités en 1624 nous sont parvenus, et nous pouvons ainsi mesurer ce qu'aurait signifié la catastrophe de leur perte). Toutes les pièces de ce CD en sont extraites.Ils sont antérieurs à la codification de la « suite de danses » baroque, transcendée par un J.S. Bach, un Couperin, un Rameau. La danse individuelle était déjà codifiée (la Renaissance anglaise a joué là un rôle majeur). Il s'ensuit que l'aeuvre dont des extraits sont présentés ici n'est pas composée de suites formalisées, mais d'un ensemble de « cantus », danses individuelles regroupées par genres. Sous une plume honnête sans plus, ceci peut rapidement devenir lassant. Ce CD nous prouve qu'il n'en est rien, même si une certaine uniformité de ton rend son écoute quelque peu exigeante.La musique et la danse sont mouvement visant à l'abstraction de l'expression : du corps dans l'espace pour la première, des sons dans le temps pour la seconde. De tous temps, l'une a servi l'autre. A la Renaissance et à l'époque baroque les deux arts poursuivent de concert leurs démarches de formalisation, la musique de ces mouvements de danse tendant à se codifier sous forme d'un art autonome quoique non oublieux de ses origines.L'éloignement progressif de la polyphonie stricte et l'avènement de la basse continue entraîneront rapidement le baroque vers diverses stratégies de développement motivique : « diminutions », ostinati, rosalies, formes circulaires ... rapidement devenues l'objet d'académismes relativement creux sous des plumes médiocres. Scheidt connaissait certes ces tendances nouvelles et a contribué à les développer. Aucun académisme cependant chez lui. Dans les « ludi musici » (en dépit de leur titre..), il s'inscrit dans la lignée d'une écriture polyphonique relativement stricte et de la noblesse voilée de ses grands prédécesseurs.Revenons à la « suite de danses ». L'époque commençait à regrouper les danses par paires. L'Angleterre pratiquait la. pavane/gaillarde. L'Allemagne pratiquera le groupe Allemande/Courante. Il semblerait que dès la Renaissance l'Italie constituait déjà des groupes de trois danses autour de la pavane (pavane/gaillarde/saltarella, par exemple).Poursuivant cette dynamique, la « suite » baroque se cristallisera autour d'un schéma très simple, à savoir lent/vif/lent/vif et quelques ajouts anecdotiques. Les danses retenues généralement seront : allemande / courante / sarabande / gigue, et les « ajouts » seront les menuets, rigaudons, bourrées, passacailles, airs (simples ou variés), etc. Dans le fond, c'est là le schéma de la « sonata da camera » corellienne, mais le schéma quadripartite sera également celui de la « sonata da chiesa », avec un contenu tout autre, évidemment ... ce qui montre bien que c'est le souci quasi abstrait de l'équilibre global des dynamiques qui a primé sur la définition du contenu détaillé dans la mise en forme à plus large échelle des pièces que Scheidt et ses contemporains (Schein, l'autre « S ») présentaient sous forme isolée - ici les « cantusScheidt ne s'intéressera pas à cette démarche, et reste fidèle au ciselage de la danse individualisée. Dans son recueil, elles sont regroupées par genres : pavanes, gaillardes, etc. On remarquera que lorsque le romantisme fera son miel de danses d'origine populaire, il les traitera en en général de manière isolée sans les associer entre elles - sinon précisément par pièces du même genre dans le même « opus » - comme plus tard les Mazurkas par exemple.LES DIVERS TYPES DE PIECES DES « LUDI MUSICI » : PAVANESLes pavanes, lentes, nobles et raffinées, ouvrent le recueil.et en constituent sans nul doute les plus hauts sommets. Non certes que Scheidt ait traité les autres types de pièces avec moins de soin, mais leur moule appelait les raffinements les plus subtils.La pavane était née en Italie au début du XVI° Siècle (puis devenue une des pièces favorites des luthistes, mettant singulièrement en valeur la noble délicatesse de leur instrument, sur lequel la virtuosité s'exprimait par des ornements et « diminutions » raffinés, à l'opposé de tout exhibitionnisme (il n'y a pas de Paganini-Liszt du luth). La pavane est fondamentalement une danse lente à deux temps, articulée selon le schéma rythmique blanche/noire/noire, propice à de délicats contrepoints. Elle est formée généralement de trois sections, Chaque section est répétée avec des variations ou des ornementations. En Italie, elle set souvent composée sur des basses extrêmement répandues à la renaissance ; le passamezzo antico et le passamezzo moderno (« passamezzo », ou un pas et demi, dit bien la vocation chorégraphique de cette formule ; les versions « antico » et « moderno » sont en gros liées à un mineur modal avec insistance sur le 3° degré et un majeur plus « classique »). Elle rejoint l'Espagne (Diego Ortiz) puis l'Angleterre qui lui donnera ses lettres de noblesse dans tous les sens du terme. La France la connaissait, mais ne lui a guère apporté. La pavane à sa maturité était raffinée, contrapunctique, souvent chromatique - la polyphonie instrumentale permettant la propagation du chromatisme dans l'ensemble du champ musical.Les grands chefs d'aeuvre anglais datent de l'extrême fin du XVI° Siècle ou du tout début du XVII°, donc peu avant les « Ludi Musici » . Les « Lachrymae » de Dowland (1604) - qui inspireront entre autres le bel op. 48 de B. Britten. Les recueils de « Pavans », à l'instar de celui de Dowland, marquaient souvent un des sommets de l'aeuvre de compositeurs importants. L'existence de pavanes pour ensembles instrumentaux et pour luth solo illustre une certaine bifurcation dans l'appropriation par la musique de chambre ou par le soliste d'une danse « fonctionnelle » en lui apportant un supplément de musicalité propre La pavane allemande du haut baroque s'inscrit donc dans une double descendance italienne et anglaise, la dernière plus récente et plus élaborée.La plage 14 présente le Cantus V, la plus longue des pavanes du disque qui étale superbement les splendeurs du genre : contrepoint de longues mélodies ou au contraire contrepoints chromatiques larges, diminutions et ornements qui quittent leur place académique pour pénétrer au sein de la polyphonie, ambiguïtés rythmiques flirtant avec le ternaire : c'est un véritable « ars pavanae » que Scheidt nous offre là. Stravinski disait des valses de Chopin que c'étaient des « portraits de valse ». Incontestablement, nous avons ici un inégalable « portrait de pavane ». Pour autant, nous n'en négligerons pas deux grands chefs d'aeuvre à peine plus courts, les cantus VI (plage 10) et IV (plage 1) dans lesquels se retrouve le même art en quelque peu plus condensé et de ce fait - selon moi - plus quintessencié et expressif encore. La disque commence par l'admirable « cantus IV qui nous fait entrer d'emblée dans la quintessence de l'art le plus raffiné de ce recueil. Avec les « canzon » plus « anecdotiques » (voir plus loin) ce sont certainement là les trois plus beaux joyaux d'un recueil qui en recèle tant. On n'en regrettera que davantage la folie des hommes qui nous a fait perdre trois livres sur quatre et réduit ensuite le musicien à un quasi silence. Et si je puis exprimer un regret « éditorial », j'aurais préféré quelques pavanes de plus quitte à perdre quelques courantes et gaillardes.LES DIVERS TYPES DE PIECES DES « LUDI MUSICI » : GAILLARDESNée en Italie à l'extrême fin du XV° Siècle (parfois nommée « romanesca »), la « gaillarde » n'est pas moins aristocratique que la Pavane. Elle l'accompagne souvent pour former un couple lent/plus rapide, deux temps / trois temps. Elle suit l'itinéraire de la noble pavane, tout en restant un peu dans l'ombre (au moins dans la musique écrite ; elle se dansait beaucoup au XVI° Siècle). De même que la pavane portait parfois des surnoms mélancoliques, la gaillarde s'ornait parfais de surnoms pittoresques - ici le Cantus XXI (plage 9, fière « Galliard Battaglia », où les violes de notre catalan s'adjoignent avec goût et discrétion quelques percussions). Cet engouement belliqueux provenant peut-être du fabuleux chef d'aeuvre de Janequin : la « bataille de Marignan ».Comme nous l'avons vu, Scheidt ne conserve pas les regroupements de danses, préférant ciseler chacune selon son profil propre. La Gaillarde ne se définit donc pas pour lui par contraste avec la Pavane. De la Gaillarde, il gardera une carrure rythmique plus affirmée en ses trois temps que la plus langoureuse et allusive pavane, Néanmoins, il ménagera dans cette carrure de courts profils rythmiques et/ou mélodiques qui viennent en casser la mécanique ternaire un peu répétitive, apparaissant et disparaissant au gré du contrepoint toujours de haute tenue, comme le prouve le subtil « Cantus XXV » (plage 7) et ses reflets changeants dans une eau trop lisse. Les « cantus » VII et VIII (plages 11 et 2) sont plus carrés mais fort mélodiques, ne refusant pas les « diminutions » qui en irisent la couleur et pénètrent parfois, décantées, dans la profondeur de l'espace polyphonique.LES DIVERS TYPES DE PIECES DES « LUDI MUSICI » : ALLEMANDEL'allemande peut difficilement - sinon de manière formelle, en tant que danse lente initiale - être considérée comme l'équivalent allemand de la « pavane ». Dans les suites allemandes ou françaises, la noblesse de ton se reportant souvent vers la Sarabande, l'allemande avait une agogique plus linéaire et « carrée », avec une polyphonie légère très caractéristique, généralement en écho de doubles croches qui se résolvaient de manière plus homophonique - écriture qui perdurera jusqu'à Rameau. L'allemande se cherchait encore.au début du XVII° Siècle. Certes, Scheidt est Scheidt, mais en dépit des subtilités qu'elle recèle, la seule allemande du disque (cantus XVI, plage 12) ne saurait égaler les Pavanes. Savall en est bien conscient et alterne le luth (ici un peu sec) et les cordes dans son interprétation, afin d'y introduire quelque diversité supplémentaire.LES DIVERS TYPES DE PIECES DES « LUDI MUSICI » : COURANTELa courante est une danse rapide à trois temps (moins rapide cependant que son nom ne le suggèrerait), de coupe binaire avec reprises, et parfois accompagnée de « doubles ». Comme pour le menuet, il n'est pas rare de trouver deux courantes dans la suite baroque. La pulsation de la courante française est plus modérée que celle de la « corrente » italienne. Alors que cette dernière adopte en général une polyphonie à deux voix assez simple, la courante française, peut-être parce que moins rapide, adopte de grandes subtilités d'écriture, du moins à sa maturité (complexité rythmique telle que l'alternance de découpes binaire et ternaire, hémioles aux cadences).Cependant, le principe de dissociation utilisé par Scheidt dans ce recueil attire l'attention sur LA courante en elle-même et non en tant qu'élément d'un ensemble. Il peut donc se concentrer sur les spécificités du genre. Le cantus IX (plage 15) est une « courant dolorosa » fort convaincante quoiqu'apparemment paradoxale dans son titre. De fait, son rang dans le recueil la rend très proche des pavanes. Si elle garde le rythme caractéristique des courantes, son tempo en est fort ralenti, à la manière des courantes françaises dont elle emprunte les caractéristiques stylistiques sans servilité. Ce sont ces traits qui permettant à Scheidt de donner sa courante un caractère noblement « dolorosa ». Nous sommes encore fort proches de la pudique et noble d'un Dowland, mais le compositeur assume parfaitement le genre choisi. Syntaxiquement, ce n'est plus au monde expressif de Dowland que le compositeur se réfère ici.AUTRES TYPES DE PIECES DES « LUDI MUSICI » : CANZONLe recueil contient quelques spécimens de « canzon » qui méritent attention, car elles constituent une part des chefs d'aeuvre du recueil, appartiennent à des genres fort répandus à l'époque, mais dont la toponymie cache parfois des réalités très différentes - y compris à l'intérieur de l'aeuvre même d'un Scheidt (ou d'un Frescobaldi, par exemple).Pour l'essentiel, ces genres se fondent sur des mélodies « populaires » ou plutôt issues de musiques nobles mais popularisées par la suite (souvent nommées « chansons » plus que « airs », d'où le nom fort ambigu du genre). Il perdurera jusqu'à l'unique aeuvre pour orgue que J.S. Bach écrivit en hommage évident à Frescobaldi et qui n'a quasiment aucun rapport avec ce que nous décrivons ici. Bach rend hommage à son prédécesseur par un langage pseudo-modal, un contrepoint très spécifique et surtout le passage d'un rythme binaire à un rythme ternaire qui transforme le sujet en le rendant plus allègre quoique parfaitement reconnaissable. Ce n'est pas le propos de Scheidt, même si certains de ces principes sont ici dans l'aeuf.Un exemple « canonique » de thème de « canzon » et de variations est la remarquable « chanson » française « Est-ce Mars », issue d'un ballet de la cour d'Henri IV en 1601, très appréciée des musiciens par in profil rythmique typique en milieu de mélodie, souligné par des intervalles caractéristiques, matière première aux possibilités inépuisables. Savall semble l'adorer, car on ne compte plus le nombre d'aeuvres fondées sur cette chanson qu'il a enregistrées, soulignant souvent les accents rythmiques par les discrètes percussions que nous avons déjà rencontrées. Elle est de ces mélodies qui semblent à elles seules résumer un style.N'oublions pas que nous avons ici affaire à une musique certes « ludique » mais d'une sévère polyphonie à quatre ou cinq voix, et qui n'admet pas - sinon dans quelques élégantes « diminutions » ornant les reprises - la développement linéaire des aeuvres de clavier ou de luth (dans quelques rares cas, Savall accordera une place significative au luth, probablement pour sauvegarder la cohérence entre style et interprétation). A l'intérieur même du traitement d'un genre, ce point est d'une importance capitale.La « cantus XXIX » (plage 13) à cinq voix issu de la chanson de la cour d'Henri IV est traité avec une maîtrise stupéfiante. L'épisode rythmique typique est situé au milieu de la « canzon », car il ne s'agit ici nullement d'un « thème et variations », mais d'une amplification contrapunctique : Scheidt ne pouvait mieux nous le « dire ». La première section de la pièce est composée d'un développement contrapunctique assez sévère de la première partie de la chanson (quoique plus animé que les pavanes) et c'est vers le milieu de la pièce, en guise de début logique de la seconde section, qu'intervient l'épisode typique, bien « carré » (et l'entrée des percussions de Savall...) suivi d'une seconce section contrapunctique, Le retour de l' « épisode « typique » constitue la conclusion/coda de la pièce. Pour qui connaît l'impatience qu' avaient les compositeurs de l'époque de tirer parti du fameux épisode typique et pittoresque (Scheidt le premier), le fait de différer cette entrée jusqu'au milieu de la pièce (à la manière de la « chanson ») est un procédé que seul les plus grands ont su employer à bon escient.Je voudrais insister un peu sur le « cantus XXVI » (plage 5), canzon sur « la Bergamasca ». Il évoque pour moi par analogie la Pavane « Cantus V » en ce sens que nous pouvons l'entendre comme un « écorché » de la future fugue, comme le « Cantus V » pouvait être entendu comme un « écorché » de Pavane. Avec cette différence notoire que la fugue n'existait pas ! Mais pour l'essentiel, tous ses ingrédients sont prophétiquement là. Cent trente ans avant l' « art de la fugue », c'est donc un extraordinaire « art de la future fugue » que Scheidt a inventé là ! Le thème de « canzon » s'annonce assez carré par rapport à ceux du recueil, mis en valeur par une exposition de fugue assez simple (ce type d'entrées dont nous pressentons par avance qu'elles sont trop simples pour ne pas être élaborées ultérieurement), quoique comprenant des finesses de contrepoint bien lisibles, quasi pédagogiques (rétrogradation de petites cellules). Cette exposition de fugue est suivie d'un « divertissement » au sens « conservatorial » du terme sur des valeurs rythmiques courtes introduisant des cellules rapides auquel le recueil nous avait peu habitué. La liaison est subtilement ménagée d'une part par l »affinité entre notes conjointes du « thème principal » et les notes « rapides » présentées ici, et l'exploitation de sa formule « carrée » comme basse rythmique de danse. Le style global de ce contraste, évoque la danse plus que le futur monde de la fugue, montrant ainsi tout ce que les styles peuvent avoir d'influences mutuelles. Pour autant, il ne faudrait pas associer ce futur monde de la fugue à un certain type de style austère (ou pour les compositeurs de second ordre ennuyeux). Dans beaucoup de ses chefs d'aeuvre, Bach procède de manière comparable, sachant ce que les fugues peuvent avoir un côté jubilatoire, voire quasi chorégraphique (Inversement certaines de ses pièces « chorégraphiques » - les gigues notamment) usent largement de l'écriture fuguée simplifiée). A l'issue de celui-ci, le développement commence par une sorte de réexposition de fugue, où le thème est à la fois raccourci, varié, et où la polyphonie se fait plus dense, intégrant peu à peu les éléments plus rapides du « divertissement ». C'est merveille de voir comment cet authentique développement polyphonique bithématique se concentre tantôt sur les parties supérieures, tantôt sur les parties médianes, jouant savamment des cellules longues et « carrées » du « thème » et des valeurs plus rapides et fluides du « divertissement ». De fait, ce sont presque déjà les éléments stylistiques de la forme sonate haydnienne qui sont pressentis ici. Ce magistral développement se conclut par une non moins magistrale réexposition variée de l'exposition de fugue et du « divertissement «La dernière Canzon du CD (Cantus XXVIII plage 17) sur le chant d'origine française « Nachbar Roland » est écrite - il faut le reconnaître - d'une plume formelle moins ferme, quoique toujours parfaite en termes de syntaxe et consciente de la nécessité de jouer entre cellules lentes et vives. Il semblerait que l'auteur soit à la recherche d'une forme assurant la transition entre la « canzon » traditionnelle et un devenir dont il ne sait pas bien ce qu'il sera (nous non plus, puisque le Guerre de Trente ans va stopper cette dynamique). Cette recherche n'en est que plus émouvante. Cette pièce à la fin du CD prend ainsi tout son sens.LE TIMBRE : FAUX OU VRAI PROBLEME ?« L'orchestration » de ces pièces n'était pas fixée sinon par des traditions et des pratiques concrètes. Ne disons pas qu'elle est perdue : elle était vraiment ad libitum à condition de respecter les tessitures et les rapports d'intensité et de timbre des voix. Il est vraisemblable sinon certain que, selon les occasions, instruments à cordes pincées, cuivres, flûtes à bec, pouvaient être sollicités - comme il était de règle à Venise ou en France. Scheidt indique que ces pièces sont écrites « préférablement » pour cordes, mais deux « cantus » font explicitement appel à des cuivres. De fait, les instrumentistes étaient souvent polyvalents et changeaient eux-mêmes d'instruments au gré des circonstances.Ce disque représente une solution « simple », historiquement vraisemblable et fidèle et musicalement convaincante. Il est interprété par un « concert de violes » tel qu'il existait à l'époque et comprenant une « viole ténor », ce qui en fait un ensemble plus équilibré que notre traditionnel quatuor à cordes. Dans celui-ci comme dans la section de cordes de l'orchestre moderne, le timbre global est trop tiré vers l'aigu par l'inexistence d'un instrument ténor, parfois remplacé par le violoncelle ce qui ne fait que reporter la difficulté vers d'autres registres En dépit du primat du quatuor à cordes, les quintettes, sextuors, septuors et octuors à cordes de Boccherini, Mozart, Spohr, Schubert, Brahms, Dvorak, Gade, Tchaïkovski, Taneïev, Svendsen, Bridge, Martinu, Milhaud, Schoenberg entre autres montrent bien par leur diversité et leur qualités d'écriture comment les classico-(post) romantiques se sentaient à l'aise avec une formation de cordes plus équilibrée. De la même manière, un Buxtehude ou divers compositeurs et théoriciens français critiquaient les deux violons de la sonate en trio italienne haut perchés au dessus de la basse et préféraient par exemple un violon et une viole de gambe - comme le prouvent les deux très beaux recueils op. 1 & 2 de 7 sonates chacune de Buxtehude et le succès qu'ils ont connu, La texture retenue par Savall tend à occuper uniformément l'espace des hauteurs sonores en donnant un sentiment de parfaite plénitude.LA MISE EN PAGE DU CDJe dois avouer que ce type de mise en page du CD réveille en moi - mais ici de manière extrêmement modérée - des réserves (voire des coups de g******) fréquentes, inspirées par le mélange, sur un disque ou un coffret, d'aeuvres de compositeurs hétérogènes, de plusieurs compositeurs d'une époque donnée, voire les aeuvres d'un compositeur en faisant fi de la manière dont celui-ci les a regroupées. Je m'en suis expliqué souvent et pense hors propos de revenir sur ce point dans sa généralité. C'est un sentiment personnel. J''entends et respecte les arguments de ceux qui pensent que cela favorise la connaissance de la musique dite « classique », d'une époque, d'un style, d'une école, d'un compositeur. Il ne s'agit donc pas d'une critique « objective » du type « à la mesure 347, le 3° cor a fait un couac ». Je ne suis pas naïf au point de ne pas percevoir ce que ces mises en page doivent aux études de marquetingue des producteurs ou de l'ego surdimensionné de certains interprètes qui estiment savoir présenter les aeuvres de compositeurs mieux que ne l'a fait le compositeur lui-même. Mais taisons ces procès d'intention ici. Je pense qu'il y a là sujet de débat calme et pacifique, et que poser celui-ci sans asséner des « vérités » sur le mode mussolinien mais en proposant des éclairages particuliers peut être bénéfique à toutes et à tous.J'ai attiré l'attention sur le fait que Scheidt se concentrait su le caractère particulier d'une danse, et que la logique de constitution de la suite ne l'intéressait visiblement pas. Intentionnellement, le recueil des « Ludi Musici » est segmenté en groupes homogènes. On peut comprendre que, vu la taille du recueil, on procède à un certain échantillonnage pour présenter un seul CD en prenant sa responsabilité de musicien interprète dans le choix des pièces du CD. En revanche, réorganiser l'ordre des pièces en faisant fi de la volonté du musicien de les regrouper par genres et en reconstituant peu ou prou des sortes de suites - ce que le musicien ne voulait pas faire - me paraît plus sujet à caution. Certes, présenter les pavanes, les « gaillards » etc. par paquets donnerait un disque austère, la variété apportée par cette « mise en page » rend l'enregistrement plus attractif, et l'amour de Savall pour ces musiques fait que cet exercice, si on l'admet, est fait avec un goût irréprochable.J'entends ces arguments respectables, ils ont du sens, et ne prétends pas avoir raison (si tant est qu'en la matière avoir raison ou tort ait un sens quelconque). Si ce type d'approche rend Scheidt (ou tout autre compositeur, ou tout autre style) plus abordable, tant mieux. Il me semble simplement honnête de dire que, pour moi, le respect de la pensée et de la réalisation du compositeur est une vertu première, et que personnellement j'aurais aimé apprécier la variété d'écriture que Scheidt apporte dans un genre donné en les écoutant séquentiellement plutôt que de « skipper » à travers tout le disque - d'autant que telle était l'intention du compositeur. Mais encore une fois ceci est mon option, vous pouvez en avoir d'autres, amis mélomanes. En encore ai-je écrit que le CD commençait et finissait à mon goût - et de plus de manière orthodoxe : pavane en premier, « canzon » en dernier. Les « cinq étoiles » sont donc attribuées ici sans la moindre réticence, tout comme le conseil d'acquérir ce disque.(PS - J'avoue être plus sceptique devant certain disque qui présente dans le désordre des pièces des "ordres" de Couperin :-) )
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